Le Parlement européen, les Etats membres et la Commission Européenne, rassemblés en trilogue ont entériné un accord autour du marché carbone de L’UE, le 18 décembre dernier. Texte ambitieux qui s’inscrit dans un projet encore plus global intitulé fit for 55 ; et qui vise à réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.
Ce texte d’envergure vise notamment à :
- Limiter les importations industrielles néfastes pour le climat
- Baisser les quotas d’émissions de gaz à effet de serre (GES) au sein de l’UE
- Investir massivement pour la transition énergétique
La volonté de réduction des GES est de l’ordre de 55% d’ici 2030, et 100% d’ici 2050. Les gars ne se mettent pas la pression. Pour y arriver, l’UE cible des secteurs spécifiques particulièrement polluants tels que : l’acier, l’aluminium, l’hydrogène, l’électricité, le ciment et les engrais. Ces secteurs pourront s’étendre dans un second temps au transport aérien intra-européen, au maritime et au traitement des déchets.
L’idée est de faire en sorte que les secteurs en question se mettent à la page en termes de standard environnementaux.
Une entrée en vigueur est annoncée pour 2026 avec une période d’essai dès l’automne 2023, où les industriels devront dans un premier temps déclarer les émissions de GES de leurs importations.
En quoi consiste la taxe carbone telle qu’élaborée par l’UE ?
L’objectif de cette taxe est double : éviter de produire hors de l’UE ce qui peut l’être au sein de l’UE ; et inciter les pays qui n’ont pas les mêmes standards en matière d’environnement, à améliorer leur législation.
Dans les faits, en plus de payer les frais normaux pour faire entrer une marchandise dans l’UE, les industriels devront s’acquitter du prix des émissions de GES qu’elles engendrent pour la production du produit importé. En d’autres termes, la taxe revient à payer la différence entre le prix des GES tel qu’établi au sein de l’UE par rapport à celui payé (s’il existe) dans le pays producteur.
En parallèle de ce vaste programme, se déconstruit un chantier tout aussi important : celui du démantèlement des droits à polluer gratuits alloués aux industriels de l’UE à partir de 2026, avec une fin programmée en 2034.
Mais au fait, comment fonctionne le marché des droits à polluer dans l’Union Européenne ?
Suite à l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto, l’Union Européenne met en place en 2005, le marché UE-ETS. Celui-ci constitue le premier marché de quotas carbone en Europe.
Son fonctionnement est assez simple : pour chaque période, la Commission Européenne met en place un plafond de capacités d’émissions carbone possible.
Cela veut dire que chaque entreprise produisant des émissions de GES se voit attribuer un certain nombre de quotas de production carbone, en fonction de tout un tas de critères.
Le taux de change est le suivant : 1 quota = 1 tonne équivalent CO2 (tCO2e)
Ensuite, libres aux acteurs industriels de s’échanger ces quotas en fonction de leurs productions.
A la fin de chaque période, les entreprises doivent être à l’équilibre entre leurs quotas et leurs émissions effectives.
Si l’équilibre est là, tout va bien.
Si l’entreprise a davantage de quotas que de production de carbone, elle peut faire le choix de conserver ses quotas pour plus tard, ou de les revendre sur le marché carbone.
A contrario, c’est-à-dire dans le cas où l’entreprise a émis plus de carbone que ses capacités en quotas, elle peut soit acheter les quotas qui lui manque sur le marché carbone, soit acheter des crédits de compensation dans d’autres secteurs ou d’autres zones géographiques. Si elle ne fait aucune de ces deux actions, elle doit payer une amende.
Ce marché concerne quelque 16400 installations industrielles en Europe.
Pour mieux comprendre ce mécanisme, voici une vidéo de l’ADEME très bien faite :
Le prix de la tonne de carbone s’établira à 100€, qui est "un prix tout à fait ambitieux" d’après Pascal Canfin, eurodéputé français.
La baisse des quotas est une affaire sérieuse, puisque l’objectif pour 2030 est une diminution de l’ordre de 62%.
Il en va de même pour la disparition progressive des quotas gratuits qui étaient alloués aux industriels UE pour faire face à la concurrence extra-européenne. Ceux-ci constituent actuellement près de 30% de leurs quotas totaux. Pour ces quotas spéciaux, le plan de réduction est le suivant :
- - 2,5% en 2026
- - 10% en 2028
- - 48,5% en 2030
- Disparition totale en 2034
Dans les faits, ça donne quoi ?
Depuis sa création, on a pu constater une augmentation croissante des prix du carbone sur le marché européen ainsi qu’une baisse du plafond des quotas chaque année.
Cette évolution du prix du carbone doit inciter les industriels à investir dans des pratiques plus vertueuse et moins polluantes. En effet, si les prix augmentent pour avoir simplement le droit de continuer à produire de manière polluante et énergivore, autant se pencher sur des investissements et des techniques moins ou non polluantes pour à terme, ne plus avoir à régler cette taxe.
L’accord a donc aussi pour but d’éviter le dumping écologique : c’est-à-dire que si les pays hors UE continuent à n’avoir pas de contraintes CO2, les industriels UE seraient tentés d’installer des sites et infrastructures polluantes. En taxant les émissions de GES des importations, les industriels de l’UE n’ont plus d’intérêt à aller produire ailleurs.
Ce projet a-t-il des failles ?
Evidemment, le texte est abouti mais rien n'étant jamais exhaustif, certains biais ont déjà été pointés du doigt. Par exemple, seules les matières premières semblent concernées par cette taxe carbone aux frontières. Ainsi l’acier sera taxé, mais un produit fini à base d’acier non. Il semblerait opportun de résoudre cet écueil avant la mise en place globale du projet.
Par ailleurs, un second marché du carbone (ETS2) va être créé pour les émissions liées aux carburants et au chauffage au fioul et au gaz. Les ménages n’échapperont pas à cette taxe. Néanmoins, les députés européens ont obtenu que sa mise en place soit retardée d’un an, en 2027, voire 2028 si les prix de l’énergie continuent de s’emballer. La création d’un plafond à 45€ la tonne le cas échéant sera instauré.
A partir de ce nouveau marché, un fonds social pour le climat doté de 86,7 milliards d’euros pour soutenir la transition énergétique des citoyens et des entreprises vulnérables ainsi qu’un fonds d’innovation pour accélérer la décarbonation lui doté de 50 milliards d’euros seront tous deux mis en place.
En parallèle de ce démantèlement, à partir de 2026, l'élaboration d’un mécanisme de soutien aux exportations extra-européennes (et donc sans tarification carbone), pour les industriels de l’Union, dès lors que ceux-ci investiront dans les énergies vertes va voir le jour. Le groupement d’ONG CAN (Climate Action Network) regrette cet aspect en argumentant que les grands groupes pourront encore pendant un temps jouer le jeu des droits à polluer.